La famille Mathier, dans le Haut-Valais, l’art de vinifier en amphores

Je vous emmène en visite guidée dans le Domaine Albert Mathier à Salquenen, aussi connu sous le nom de Salgesch en allemand, commune bilingue à la frontière entre le Bas-Valais et le Haut-Valais.

Multiculturelle, la Suisse est un pays multilingue alors une fois n’est pas coutume nous allons nous aventurer à la limite linguistique valaisanne au-delà de Sierre pour faire la rencontre d’Amédée Mathier. 

Avec son Terroir baigné de soleil, son sol riche en éboulis calcaire et de son fœhn automnal (vent sec et chaud), le vignoble de Salquenen incarne le Terroir idéal à la production de grands vins rouges. Les caractéristiques de son sol proviennent d’un éboulement préhistorique de la montagne de Varone qui l’a doté d’une forte concentration en calcaire et en magnésium. 

Une famille et plus de 600 ans d’histoire:

La première mention de la famille Mathier dans le village de Salquenen remonte à 1387. Originaire de Marseille, c’est la recherche de travail qui les conduit à cet exode via Grenoble. D’abord mercenaires, puis engagés pour des missions militaires en Valais, ils verront ensuite dans la région de Salquenen la possibilité de se lancer dans la viticulture.

Il faudra attendre 1928 pour qu’Albert Mathier se lance et créé sa propre cave.  Aujourd’hui, Amédée est la troisième génération de propriétaires de la cave.

Le vignoble s’étend sur plus d’une soixantaine d’hectares entre Sierre, Miège, Ollon et la région de Salquenen, auquel s’ajoute la commune de Leytron/Saillon avec le Domaine de Ravoire. 

Les vins sont aujourd’hui estampillés par Amédée. Grand fan de vins élevés en kvevris, c’est quelques temps après un voyage en Géorgie, qu’ Amédée se lance et fait des essais de vins en amphore en 2009, ce qui lui vaudra le titre de pionnier en Suisse. Fort de son expérience, Amédée renouvelle sans cesse les expériences pour proposer des vins avec une démarche éco responsable sur une partie du vignoble qui suit les préceptes de la biodynamie notamment les cuvées situées au cœur du parc naturel de Pfyn-Finges, l’une des forêts de pins d’un seul tenant les plus grandes et les plus denses des Alpes.

Et si je vous parlais de ma dégustation…

La cuvée Rhoneblut est l’étendard de la famille Mathier. Lancé en 1928, il s’agit du premier vin du domaine. Vin prosaïque sans prétention, il tire son nom du Rhône mais c’est également le reflet de l’essence de la famille Mathier. Poétique, vous ne trouvez pas ? Pour comprendre, il faut revenir à une époque où le domaine a commencé à planter ses premières vignes sur des terrasses surplombants le Rhône et où le Valais était éloigné des centres économiques. Il fallait beaucoup de courage pour se lancer. 

Comme le dirait Amédée, le Rhoneblut coule dans les veines de la famille Mathier. Sans valoriser l’alcoolisme et avec beaucoup de second degré, la famille dit souvent qu’ils ont été biberonné au Rhoneblut. 

Délicat, ce Pinot Noir se présente au nez sur des fragrances de fruits noirs comme la mûre et la cerise. On retrouve aussi quelques nuances florales telles que la fleur de sureau mais aussi des notes de poivre blanc. En bouche, il allie fraîcheur, texture juteuse et persistance. Les tanins sur la finesse offrent un joli équilibre à sa finale poivrée. 

Cette dégustation, c’est aussi l’occasion de vous parler d’un cépage autochtone peu connu: le Lafnetscha, qui a plus de 400 ans d’histoire !

C’est lové au cœur du Haut-Valais que se cache ce cépage, croisement inter spécifique naturel entre deux spécialités suisses l’Humagne blanc du Valais et le Completer des Grisons. Ce vieux cépage est mentionné pour la première fois sous le nom de Lachneschen en 1627. L’origine de son nom vient du dialecte suisse « laff es nicht schon » qui signifie « ne le bois pas trop tôt » ou « ne le bois pas trop jeune ». Comme vous l’aurez compris, c’est un cépage avec un fort potentiel de vieillissement dû à son acidité marquée. 

Le Lafnetscha incarne à la fois complexité et élégance. Aujourd’hui planté seulement sur environ 2 ha dans le monde, cette curiosité autochtone est fièrement représentée par 7 vignerons dont le Domaine Albert Mathier & Fils. 

Planté sur la commune de Varone à plus de 620 m d’altitude, ce lafnetscha se présente sous des notes de fruits à chair blanche comme la nectarine mais aussi des nuances de pomme Golden et de poire au premier nez. Ensuite avec l’aération, il se complexifie pour s’ouvrir sur des notes plus florales comme les fleurs blanches, la rose ou encore la bergamote. Plus on s’y attarde, plus on y décèle des subtilités.

En bouche, la vivacité est la colonne vertébrale du vin, puis la dégustation continue vers une structure plus dense qui pourrait s’apparenter à des saveurs umami qui nous caresse le palais. La finale tout en persistance s’accompagne de fragrances florales et de pierre à fusils, qui se renforcent avec le temps. 

Cette curiosité haut-valaisanne mériterait d’être plus connue. Certes les quantités restent très confidentielles mais il ravira les amateurs de grands vins blancs pouvant s’oublier plusieurs années en cave. 

Focus sur la cuvée Aphrodine qui tire son nom du cépage dont elle est issue la Petite Arvine mais aussi de la Déesse grecque Aphrodite qui désigne l’amour, la beauté ou encore le désir, terme qui représente bien ce cépage. 

Cette Petite Arvine est issue des vignes d’Ollon, Sierre et Leytron à une altitude de 560 m d’altitude. 

Envoûtant dès le premier nez, on se laisse porter par des notes de fruits exotiques tel que l’ananas, associé à la fraîcheur des agrumes tel que le citron vert et le pamplemousse. En bouche, l’attaque est franche avec une belle acidité rafraîchissante qui ouvre sur une belle amplitude. On retrouve des nuances minérales et un aspect salin caractéristique en final qui ne font que renforcer notre envie d’y goûter à nouveau. 

La famille Mathier nous fait remonter le temps avec ces fameuses cuvées en kvevris !

Les cuvées en amphore sont le résultat du rêve un peu fou d’Amédée qui est devenu une fierté de la famille Mathier. En effet, c’est lors de l’un de ses voyages en Géorgie qu’Amédée emporte avec lui quelques kvevris.

Un pari fou de produire des vins selon cette méthode ancestrale de plus de 8’000 ans inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 2013. En effet, pour celles et ceux qui ne le savent pas encore, il s’agit de l’une des régions les plus anciennes productrices de vins. D’ailleurs, le terme kleveri signifie amphore en géorgien.

Fort de l’expérience d’Amédée dans les macérations longues et de bons échanges avec des contacts géorgiens, ils se sont lancés en 2009.

On voit beaucoup de vins estampillés du terme en amphore mais qu’est-ce qui se passe vraiment ? Les kvevris ont généralement des épaisseurs de paroi de seulement 1,5 cm et ne peut résister à la pression du raisin et du vin que parce que ces derniers sont enfouis dans la terre. Ensuite, durant tout le processus de vinification, les vins ne seront ni sulfités, ni filtrés. Ils sont donc dits nature. Cette méthode de vinification renoue avec les vins oxydatif.

Les raisins égrappés ont passé douze mois dans des «kvevris» de 1800 litres. Ils ont subi un pigeage au bâton au moins trois fois par jour, sans levurage. Au terme des deux fermentations, le jus a été pompé pour être élevé 12 mois dans des fûts d’acacias. (Depuis les millésimes 2020, le vin reste 24 mois dans les amphores et ne passe plus en fût. Les millésimes 2017/2018 ont passé 12 mois en amphores puis 12 mois en barriques.)

Pour la production de ce type de vin, le domaine Mathier a donc dû investir dans une cave de kvevri, appelé marani.

L’idée d’Amédée est de produire des vins qui expriment l’âme profonde du Terroir.

C’est dans ce principe que le domaine produit trois cuvées différentes: un vin orange et un amphore blanc et noir.

La cuvée amphore blanc est un assemblage d’Ermitage et de Rèze. La Suisse est un pays riche de part son encépagement avec pas moins de 200 cépages différents et 40 indigènes. La Rèze en fait notamment partie: c’est un cépage autochtone du Valais mais aussi l’un des plus anciens enregistrés. Il remonte à 1313. Le saviez-vous ?

Cette cuvée de par sa vinification particulière avec ses 12 mois en «kvevris» et ses 12 mois en fûts d’acacias et de cerisier possède une robe plus oxydée. Complexe, elle s’ouvre sur des notes délicates de thé, de romarin ou encore d’agrumes associés à des nuances de fleur d’oranger et d’épices douces. La bouche est d’une étonnante fraîcheur avec une belle vivacité. Le tout s’équilibre parfaitement à son amplitude et sa vinosité.

La cuvée O est issue de Pinot Gris ou communément appelé Malvoisie dans le Haut-Valais. La macération pelliculaire est plus courte que sur la cuvée amphore blanc, environ 3 mois en kvevri et 3 mois en cuve. Il est plus léger en bouche mais il surprend par sa couleur puisqu’il s’agit d’une cuvée dite orange. Cette 4e couleur apparaît chez de nombreux vignerons.

Elle s’ouvre sur des notes de zeste d’oranger, de thé noir qui se prolonge sur les fruits secs ou la cire d’abeille. D’une belle énergie, la bouche présente une jolie souplesse des tanins. D’une belle amplitude, c’est un vin accessible, même au néophyte.

L’amphore noir est, quant à lui, un assemblage de Cabernet Franc, de Merlot et de Syrah. Dès le premier nez, on se laisse porter par des notes de baies noires et de cerise qui s’accompagnent ensuite par des arômes poivrés et épicés. Des nuances de pain d’épices viennent complexifier le tout. La bouche présente une grande amplitude et se termine tout en persistance. 

 Pour information, à partir du millésime 2020, l’Amphore noir sera produit à partir de 100% de Diolinoir. 

Pour la petite anecdote, Amédée a fait ses premiers essais avec du Cornalin mais ce n’était pas une réussite et l’histoire a tourné au vinaigre. Un mauvais prélude qui ne lui a pas fait lâcher l’affaire puisqu’il a renouvelé l’expérience avec d’autres cépages et le résultat est superbe dans le verre. Mieux vaut déguster qu’étudier !

Envie de visiter, rien de plus simple: 

Adresse:
Domaine Albert Mathier
Bahnhofstrasse 3
3970 Salgesch, Suisse

Facebook: Albert Mathier & Söhne AG

MW